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as a bird would a snake

EMILY JONES

Du Samedi 9 Mars au Dimanche 26 Mai 2019


Le travail d’Emily Jones (Grande-Bretagne, 1987) opère à la jonction de multiples domaines tels que la science, l’écologie, la cosmologie, l’architecture, la technologie, l’archéologie, la géographie ou encore l’histoire, la mémoire et les croyances qu’elle envisage comme autant de strates interconnectées. Ces différents domaines du savoir se croisent et fusionnent au sein d’environnements vivants à expérimenter, sortes de paysages à la fois physiques et mentaux, dans lesquels langage et matière - souvent organique, vivante et évoluant lors des périodes d’exposition – habitent l’espace, faisant chacun à leur manière agir leur pouvoir d’invocation. Ses environnements sont peuplés d’objets (jouets, broderies, fruits et légumes, architecture, …) évoquant une certaine réalité écologique, sociale ou historique d’un monde complexe, dont toutes les définitions a priori stables, semblent aujourd’hui éclater et être reconfigurées. Ils reflètent la réalité mouvante et en constante évolution, d’un monde qu’une certaine idéologie a construit au cours du temps comme immuable. Aussi le travail de l’artiste consiste à penser l’exposition, moins comme une suite d’œuvres à observer qu’un ensemble d’entités qui, une fois connectées, génèrent une dimension propre à celle du rituel et ses propriétés liminales, à savoir ce moment de trouble et de confusion, cet entre-deux ayant cours pendant le rite de passage, et qu’elle conçoit comme une position vitale fondamentale. Incarnant ces mutations et interactions constantes, ces ensembles sont souvent accompagnés d’éléments de langage brut et aseptisé, utilisés à la fois pour leur qualité visuelle - leur design graphique froid, comme extrait d’un logiciel de bureautique -, que pour la réalité qu’ils convoquent, l’image qu’ils produisent dans les esprits. Langage et matière agissent ainsi dans un constant va-et-vient entre réalité et signe, abstraction et figure. Le langage permettant par ailleurs (grâce à l’imprimé mais aussi par le prisme de la performance) de questionner la traduction d’une langue à une autre, et surtout le passage d’une culture à une autre, d’une civilisation à une autre, d’une période historique à une autre, etc. On y trouve souvent une phrase traduite plusieurs fois, l’artiste considérant la traduction comme un territoire fertile, dans lequel un mot dans une langue peut recouvrir de multiples significations dans une autre, rendant impossible le verrouillage du sens. Le langage fonctionnerait alors comme un marécage d’où naît la vie et se développent de multiples organismes.

À l’occasion de son exposition as a bird would a snake, Emily Jones propose au visiteur de pénétrer un espace où chaque proposition artistique n’agit pas indépendamment les unes des autres mais vient former un tout dans lequel chacune d’elle interagit, de même qu’avec les humains et non-humains pénétrant leur univers. Chaque partie se veut une sorte d’offrande, un don pour une communauté, à utiliser et à s’approprier. Le rez-de-chaussée est entièrement occupé par un kiosque (purity is not an option) servant de support scénique à la performance intitulée Sorso, une pièce de théâtre écrite et mise en scène par l’artiste, jouée uniquement le soir du vernissage et diffusée durant l’exposition. Écrite originellement en anglais, la pièce a été traduite en français québécois. Sur le modèle des constellations familiales, Sorso – « siroter » en italien – met en scène trois personnages, une narratrice, Ghiaccio (glace) et Lingua (langue), circulant d’un point à un autre de la synagogue, interagissant avec le public mais aussi avec des objets et fluides. Il y est question de serpents et d’oiseaux, de mots fréquemment utilisés lors de l’apprentissage de la lecture en Angleterre, d’architecture, d’arbres, du mythe de la création aztèque des cinq soleils, des émeutes de 2011 à Londres, de crabes ermites, d’usines de dessalement, de traits de personnalités associés à différentes médecines homéopathiques, et des capacités de la nature à se guérir elle-même, sans l’action de l’homme. Ou dans quelle mesure l’invocation de ces différentes énergies, impondérables par essence, en les exposant à de l’eau salée, devient une sorte de prière exhortant ce liquide à devenir un nouveau remède homéopathique. Le kiosque, généralement offert par les instances municipales aux habitants comme lieu de rencontre et de partage, fait écho à la synagogue en tant que lieu offert aux fidèles. Il la dédouble et questionne la manière dont ces dons peuvent être utilisés pour ce qu’ils sont, tout comme un autre usage peut leur être prêté, le kiosque étant souvent utilisé par les oiseaux et les sans-abris pour s’abriter ou comme terrain de jeux par les enfants, de même que la synagogue est passée d’un lieu de culte à un espace culturel. À l’étage, une cuisine (life tethered life) typique de petit appartement est reconstituée comme si cette dernière avait été extraite de son environnement quotidien et exigu. Contrairement au kiosque offert avec bienveillance, le propriétaire tente tant bien que mal d’ « offrir » une cuisine plus ou moins viable à ses locataires, passablement équipée pour intégrer le petit espace qui lui est dévolu. Pourtant cette cuisine est utilisée de nombreuses fois, elle constitue un élément important de l’habitation pour ceux qui l’utilisent et mériterait à ce compte la même bienveillance que celle à l’origine de l’offre du kiosque dont l’usage reste plutôt rare. Trois bancs publics (the world is full of animals that need to hide) se succèdent également sur la galerie, chacun peint naïvement d’un paysage « naturel ». Tels des bancs décorés par des enfants, ils sont offerts au visiteur pour lui accorder un moment de pause dans le flux continuels des évènements de l’espace public. La science de la permaculture apprend qu’il importe que soient plantées ensemble des plantes compagnes afin de repousser plus facilement les parasites : étroitement connectés au sein de la synagogue, le kiosque, la cuisine et les bancs tendent de même à écarter les énergies nuisibles et toxiques.

À contre-courant du moralisme et de la culpabilité ambiante née de la crise écologique et de sa prise de conscience généralisée, les propositions artistiques d’Emily Jones ne stigmatisent rien en particulier. Il ne s’agit pas ici de nous extraire, ainsi que nos responsabilités, du reste, réflexe encore et toujours anthropocentriste, mais de comprendre nos actions comme faisant partie d’un tout : ce que nous faisons ayant sa place dans ce tout et devant être accepté comme tel parce que nous y occupons une place. S’il ne s’agit pas non plus de dire qu’il faut poursuivre ainsi, Emily Jones invite à repenser ce qui nous entoure, ce qui nous forge, ce que nous sommes au sein de ce tout grâce au dépassement de l’opposition Nature/Culture. Elle incite à penser notre présence au monde en interconnexion avec l’autre, à imaginer un champ de pensée toujours ouvert et partagé par la communauté d’êtres vivants qui, ensemble, possèdent une capacité incommensurable de construire en toute intelligence.

Performance Sorso programmée le soir du vernissage à 18h30.

Cette exposition a été réalisée en partenariat avec le Théâtre Amateur Delmois et le Foyer rural de Delme.

 

Emily Jones vit et travaille à Londres. Ses œuvres ont été présentées dans de nombreuses expositions personnelles dans des espaces d’expositions tels que VIE D’ANGE, Montréal ; Prairie, Chicago (2018) ; First Continent, Baltimore ; VEDA, Florence (2017) ; Cordova, Vienne ; Almanac Inn, Turin/Londres (2016) ; Arcadia Missa, Londres; V4ULT, Berlin ; S1, Portland (2015) ; Jupiter Woods, Londres (2014), de même qu’au sein d’expositions collectives à Future Gallery, Berlin (2016) ; Andrea Rosen Gallery, New York ; Galerie Andreas Huber, Vienne ; Import Projects, Berlin (2015), Serpentine Galleries, Londres (2014)…
Elle est représentée par VEDA, Florence.

Son exposition au centre d’art contemporain - la synagogue de Delme sera sa première présentation personnelle en France et dans une institution.